Texte : Frère Adrien Candiard
Mise en scène et musique : Francesco Agnello
Comédien : Thibault Jarry
Algérie, 1er avril 1996
Monseigneur Pierre Claverie, dominicain et évêque d’Oran, était assassiné avec Mohamed Bouchikhi, un jeune algérien qui le conduisait à l’évêché. La pièce rend hommage au message d’amitié, de respect et de la volonté de dialogue interreligieux de Pierre Claverie, à partir de ses textes, ainsi qu’à la fidélité et l’amitié profonde de Mohamed Bouchikhi. Un message qui n’a rien perdu de son actualité, alors que les différents intégrismes religieux se font de plus en plus violents dans le monde. Pierre Claverie a été déclaré « martyr » en janvier 2018, à l’instar des moines de Tibéhirine. Il faut à présent une cérémonie de béatification pour qu’il soit déclaré « bienheureux », première étape du long processus de canonisation. Adrien Candiard a imaginé cette pièce de théâtre d’après les homélies de Pierre Claverie et le petit carnet de son chauffeur, Mohamed. Le texte prend la forme d’un dialogue entre l’évêque d’Oran et son chauffeur musulman. Pierre Claverie, issu d’une famille présente en Algérie depuis quatre générations, est né à Alger, dans le quartier de Bab el oued, le 8 mai 1938. En 1958, il entre dans l’ordre dominicain. Après l’indépendance, il choisit de retourner en Algérie. Il est nommé évêque d’Oran en 1981 et ordonné par le cardinal Duval, archevêque d’Alger. Dans la pièce, les deux rôles sont tenus par le même comédien, comme pour souligner la relation qui les unissait.
Extrait de la pièce
« J’ai passé mon enfance dans la bulle coloniale, non qu’il y ait eu des relations entre les deux mondes, loin de là; mais, dans mon milieu social, j’ai vécu dans une bulle, ignorant l’autre, ne rencontrant l’autre que comme faisant partie du paysage ou du décor que nous avions planté dans mon existence collective. Peut-être parce que j’ignorais l’autre ou que je niais son existence, un jour, il m’a sauté à la figure. L’émergence de l’autre, la reconnaissance de l’autre, l’ajustement à l’autre sont devenus pour moi des hantises. C’est vraisemblablement ce qui est à l’origine de ma vocation religieuse. Je me suis demandé pourquoi, durant toute mon enfance., étant chrétien – pas plus que les autres – fréquentant les églises – comme d’autres – entendant des discours sur l’amour du prochain., jamais je n’avais entendu dire que l’Arabe était mon prochain. Je me suis dit: désormais, plus de murs, plus de frontières., plus de fractures. Il faut que l’autre existe., sans quoi nous nous exposons à la violence., à l’exclusion., au rejet (. . .) Découvrir l’autre, vivre avec l’autre, entendre l’autre, se laisser aussi façonner par l’autre, cela ne veut pas dire perdre son identité, rejeter ses valeurs, cela veut dire concevoir une humanité plurielle, non exclusive. »
Note du metteur en scène
Plus de vingt ans après la mort de Pierre Claverie et de Mohamed Bouchikhi, et après plus de 1000 représentations de la pièce « Pierre et Mohamed-Algérie, 1er Août 1996 », nous avons eu de nombreuses occasions de rencontres avec un public éclectique, exigeant et surtout curieux. Curieux de l’évocation de l’Algérie, du témoignage de ces deux hommes, et peut-être de ce que cette parole pouvait réveiller en eux. Parmi tous les échanges, les débats et les discussions que nous avons pu avoir, il en est certains qui nous ont profondément marqués.
Parmi les personnes ou les organisations qui nous sollicitent pour jouer, il y a des paroisses, des écoles publiques et privées, des théâtres publics et privés, des prisons mais aussi beaucoup d’associations. Ne nous y trompons pas, cette aventure a commencé grâce au réseau des associations catholiques. Mais petit à petit, nous avons eu des groupes engagés dans le dialogue inter-religieux et plus particulièrement islamo-chrétien. Puis des associations musulmanes, des imams et des recteurs de mosquées. Cela nous a fait prendre conscience d’un point très important : les musulmans de France sont engagés dans l’ouverture, dans un dialogue bienveillant, dans une perpétuelle recherche. Il y a une réelle volonté d’intégration et de vivre-ensemble. Cette réalité nous semble importante à souligner, au moment où une fracture semble naître au sein de la société française.
Après une représentation à Lourdes, nous avons eu l’occasion de rencontrer un long moment Monseigneur Aveline, évêque auxiliaire du diocèse de Marseille. Celui-ci nous a fait remarquer que nous étions comme des observateurs et que nous pouvions, par nos nombreux déplacements, cartographier l’ensemble des acteurs du dialogue inter-religieux partout en France. Et que cet ensemble constituait un mouvement concret et réel.
Le public de « Pierre et Mohamed » n’est pas uniforme. Il n’a pas d’origine ou de passé unique. Il a le visage de cette « humanité plurielle » que Pierre Claverie défendait avec tant de ferveur. Ainsi, chaque soir, nous avons devant nous, dans la salle, toutes les facettes de cette humanité. Et la force de cette parole a permis la rencontre de ces hommes et ces femmes, touchés personnellement et ensemble. Les yeux s’ouvrent, le regard se pose sur son voisin, sa voisine, sur l’autre. Un regard nouveau, empreint d’une bienveillance et de l’évidence que « l’autre existe ». Un homme âgé se présente à la crypte de Saint-Sulpice. Il est grand, le visage fermé, le regard dur. Il est assis au premier rang et assiste à la pièce, sans desserrer les mâchoires. A la fin de la représentation, pas un applaudissement, pas un geste. Il repart comme il est venu. Mais au moment où il me croise en quittant la salle, il lui dit : « Jeune homme, je suis un ancien de la guerre d’Algérie. Ce que je viens de voir et d’entendre me réconcilie avec le peuple algérien. Merci. ». Nous étions en 2012, 50 ans après les accords d’Evian et cet homme venait d’ouvrir les yeux.
Le plus surprenant enfin, dans toute cette aventure de presque six ans, est de constater l’impact que peut avoir la parole de Pierre et de Mohamed. C’est une parole vivante, qui grandit dans les cœurs et les esprits. Et qui, à certaines occasions, peut se transformer en action. Pour une pièce de théâtre, c’est inattendu et très rare, comme un cadeau du Ciel.
Francesco Agnello
Metteur en scène, compositeur et percussionniste, Francesco Agnello est lauréat du prix Villa Médicis en 1996. Formé en France par les maîtres de la percussion Sylvio Gualda, Gaston Sylvestre, Jacques Delecluse et Michel Cals, il découvre le théâtre comme percussionniste solo dans la tragédie « Carmen » de Peter Brook. Il est par ailleurs le fondateur de l’association AIRCAC : Association Internationale de Recherche et de Création Artistique Contemporaine et de l’association Art et Pédagogie. Depuis, il s’intéresse à la mise en scène et signe une douzaine de spectacles (« L’Extraordinaire François d’Assises – les Fioretti », « Catherine de Sienne », « L’Evangile selon Saint Matthieu », « Le Prophète » de Khalil Gibran) où la percussion joue un rôle essentiel, puis il se dédie à la formation des acteurs, danseurs, musiciens dans différents pays européens. En parallèle, il développe un programme pédagogique sur les percussions suivi par plus de 900 000 enfants. Depuis 7 ans, Francesco Agnello explore les possibilités du Hang, un instrument de percussion et travaille pour le théâtre avec les metteurs en scène Eugenio Barba et sa compagnie Odin Teatret, Pippo Delbono et Peter Brook pour le spectacle « Warum, Warum ». Depuis la sortie du CD Hang 1, il donne des concerts dans le monde entier.
Thibault Jarry
Après avoir grandi en Provence, Thibault Jarry intègre le Cours Florent à Paris en 2008. Il tourne ensuite rapidement dans différents projets pour la télévision et le cinéma avec, entre autres, Denis Ménochet, Vanessa Paradis ou Corinne Masiero. En parallèle de ses débuts en tant qu’acteur, il se forme à la réalisation, et se passionne pour l’écriture. En 2015, il part durant un an à Santiago du Chili, vivre une expérience de volontariat dans un bidonville, avec l’association Misericordia. Cette année est fondatrice, il en revient changé dans son rapport à l’Autre, et dans sa vision du monde et de son métier. Il travaille aujourd’hui avec le réalisateur Amaru Cazenave, en l’assistant en tant qu’auteur mais également comme comédien, mêlant ainsi ses deux passions: l’écriture et le jeu. Sa rencontre avec Francesco Agnello, et la reprise du rôle dans la pièce « Pierre & Mohamed » sont déterminantes dans la suite de son parcours artistique, et constitue une formidable expérience humaine et théâtrale.
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Francesco Agnello
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